Analyse

Revenus : l’origine sociale, facteur numéro un des inégalités

L’origine sociale est le facteur qui creuse le plus les inégalités de revenus, selon une étude de France Stratégie, avant le genre. À l’origine : des inégalités scolaires massives. L’analyse de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités

Publié le 21 juin 2024

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Revenus Catégories sociales Femmes et hommes Origines Salaires Quartiers en difficulté

Selon une étude de France Stratégie [1], le seul fait d’avoir des parents d’origine favorisée procure un bonus de plus de 1 000 euros par mois par rapport au fait d’être né dans une famille modeste, toutes choses égales par ailleurs. L’origine sociale est, de loin, ce qui compte le plus en matière d’inégalités de revenus.

Les données sur les inégalités de revenus sont très nombreuses et détaillées par âge, territoire, genre, etc. Celles qui permettent de déterminer le facteur dont le poids est le plus déterminant sont quasiment inexistantes. Pour trouver le critère qui pèse le plus, France Stratégie a mené une étude dite « toutes choses égales par ailleurs » comme disent les statisticiens, qui permet d’isoler les différents déterminants des écarts. L’organisme a ainsi retenu quatre grands facteurs : le sexe, l’origine sociale, le quartier où l’on a grandi et l’origine migratoire. L’étude porte sur tous les individus âgés de 31 à 46 ans en 2018 [2], qu’ils soient salariés ou indépendants.

Le facteur pour lequel les écarts de revenus [3] sont les plus grands est le milieu social des parents. À la base, entre les individus issus d’un milieu favorisé (dont les parents sont cadres ou professions intermédiaires) et ceux d’origine défavorisée (parents employés, ouvriers et inactifs), l’écart, que l’on appelle « brut », est de 1 200 euros par mois, l’équivalent de 57 % du revenu moyen de la population (2 120 euros mensuels). Si on isole l’effet de la seule origine sociale en éliminant les autres facteurs (sexe, territoire, origine migratoire), il reste 1 080 euros de différence que l’on qualifie alors d’écart « net », soit 51 % du revenu moyen. Naître dans un milieu social favorisé a un effet considérable sur son propre revenu.

Le deuxième facteur déterminant est le sexe : il reste 620 euros d’écart net de revenus entre les femmes et les hommes si on isole l’effet du genre. Avoir habité entre ses 10 et 18 ans dans un quartier qui n’est pas en difficulté procure un avantage de 500 euros de revenus à la base, réduit à 250 euros si on mesure l’impact du seul lieu de vie à l’adolescence. Enfin, ceux qui n’ont pas d’origine immigrée ont un avantage de 400 euros par mois sur ceux dont au moins l’un des parents est né en Afrique, mais l’écart se réduit à 170 euros quand on prend en compte les autres déterminants.

Écart de revenus mensuels selon le sexe, l'origine sociale, migratoire et le territoire
Écart brut
en euros

en %
Écart net*
en euros

en %
Origine favorisée/défavorisée (catégorie sociale des parents)1 200571 08051
Hommes/femmes6202962029
Ville hors quartier prioritaire/quartier prioritaire**5002425012
Sans ascendance migratoire/ascendance africaine400191708
Générations 1972 à 1987 recensées entre 10 et 18 ans en 1990 ou 1999 en France métropolitaine ayant déclaré des revenus en 2018. Écart par rapport au revenu moyen de la population.
* Net : toutes choses égales par ailleurs, soit une fois isolé le poids de ce seul facteur.
** Lieu de vie à l’adolescence.
Lecture : les personnes dont les parents étaient favorisés ont un revenu supérieur de 1 200 euros à celles dont les parents étaient défavorisés. Une fois prises en compte les autres caractéristiques (sexe, territoire, ascendance migratoire), l’écart lié à ce seul facteur est de 1 080 euros.
Source : calculs de France Stratégie d'après l'Insee – Données 2018 – © Observatoire des inégalités

« L’origine sociale est de loin celle qui a le plus d’effet sur les écarts de revenus à l’âge adulte », commentent Clément Dherbécourt et Jean Flamand, les auteurs de l’étude. Quand on isole cet effet, il est six fois plus important que celui de l’origine migratoire par exemple. L’écart entre les hommes et les femmes arrive en deuxième position et reste très conséquent : il représente 29 % du revenu moyen.

Comme le note justement France Stratégie, ces données ne signifient pas que l’origine sociale ou le sexe constitue un déterminisme absolu : par exemple, au sein des hommes d’origine sociale favorisée, l’écart va de 1 à 7,4 entre les 10 % les plus et les moins rémunérés. C’est rare, mais on peut avoir des parents ouvriers et gagner plus qu’un fils de cadres supérieurs. Il faudrait par ailleurs pouvoir mesurer l’effet d’autres facteurs, comme le temps de travail (complet ou partiel), le secteur d’activité ou la taille de l’entreprise par exemple.

Ces données confirment un certain nombre de résultats obtenus par ailleurs. Alors que notre pays met en avant la « méritocratie », l’origine sociale a un poids plus fort qu’ailleurs sur les résultats scolaires qui déterminent le métier et les inégalités de niveaux de vie. Ces données « attestent du rôle important de l’éducation dans la production des inégalités de revenus », notent les auteurs de l’étude. Concrètement : pour réduire la fracture sociale, c’est donc d’abord à l’école qu’il faudrait agir pour que chacun puisse atteindre l’ensemble des positions sociales. Même si cela joue moins, le seul fait d’être d’origine immigrée africaine laisse perdurer un écart de revenus qui peut s’expliquer notamment par les discriminations rencontrées dans l’accès à l’emploi, que font apparaître un grand nombre d’opérations de testing. Pour France Stratégie, l’écart entre femmes et hommes ne s’explique pas par les parcours scolaires, mais résulte du temps partiel, de l’inactivité ou du fait d’occuper, à diplôme équivalent, un poste de travail moins bien rémunéré.

Photo / CC Kyaw Tun


[1« Inégalités des chances : ce qui compte le plus », Clément Dherbécourt et Jean Flamand, Note d’analyse n° 120, France Stratégie, avril 2023.

[2Mais les données sont calculées à âge comparable, en moyenne 38,5 ans.

[3Revenus du travail avant impôts et prestations sociales.

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Date de première rédaction le 21 juin 2024.
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